«On aurait tort de croire que la crise togolaise est finie» — Communauté d'Églises en mission

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«On aurait tort de croire que la crise togolaise est finie»

Durant deux jours, les 26 et 27 février 2019, les membres du Réseau œcuménique sur le Togo se sont retrouvés à Paris : participaient à cette réunion des représentants de l'EEPT (Église Évangélique Presbytérienne du Togo) et de l'EMT (Église Méthodiste du Togo), ainsi que le Secrétaire Général de la Cevaa et celui du Défap, le représentant du Conseil
œcuménique du Togo et la représentante du Pain pour le monde. Le point avec Comlan Prosper Deh, Accompagnateur œcuménique.

Comlan Prosper Deh à Paris, à l'issue de la réunion des partenaires du Réseau œcuménique sur le Togo © Cevaa

 

Quel était l'objectif de cette réunion, et qui y a participé ? En quoi la Cevaa et le Défap sont-ils impliqués ?

Comlan Prosper Deh, coordinateur du PAOET (Projet d'Accompagnement œcuménique pour le Togo) : Le Réseau œcuménique sur le Togo se réunit une année sur deux au Togo, et l'autre année dans l'un des pays d'où viennent les partenaires du projet. Nous nous sommes très souvent réunis en Allemagne : il y a deux ans, nous étions à Berlin, à l'invitation de Pain pour le Monde. L'an dernier, c'était à Lomé. Cette année, il a été choisi de venir à Paris, où aucune réunion de ce type n'avait eu lieu depuis longtemps. Nous estimons aussi que la Cevaa et le Défap restent des membres importants du Réseau œcuménique sur le Togo, même s'ils ne contribuent pas actuellement au budget du PAOET. Cela implique que la solidarité qui existe entre les membres du réseau n'est pas uniquement liée aux finances : il s'agit plus de témoigner de leur soutien envers le peuple du Togo.

Participaient à cette réunion le Défap, la Cevaa, Pain pour le Monde, la Mission de Brême, DM-échange et mission mais aussi le Conseil œcuménique des Églises. Sans oublier bien sûr les deux Églises du Togo : l'EEPT et l'EMT, toutes deux membres de la Cevaa, et les responsables du PAOET. Compte a été rendu du processus de recrutement d'un nouvel Accompagnateur œcuménique lancé depuis janvier 2019. Plusieurs noms ont été soumis à l'appréciation du réseau. Le prochain Accompagnateur œcuménique prendra ses fonctions début juillet 2019 ; s'ouvrira alors une période de tuilage pour faciliter ce changement à la tête du projet.
 

Que peut-on dire actuellement de la situation politique du Togo ?

Pour aller plus loin :

Comlan Prosper Deh : Les élections législatives se sont tenues le 20 décembre. Avant cela, la feuille de route de la CEDEAO, approuvée par les chefs d'État d'Afrique de l'Ouest réunis à Lomé le 31 juillet 2018, avait été rendue publique. Elle comportait diverses recommandations, notamment en matière de réformes constitutionnelles et institutionnelles : parmi elles, un scrutin présidentiel à deux tours, une limitation du nombre de mandats présidentiels à deux, la réforme de la Cour constitutionnelle, dont les membres devraient être élus pour un seul et unique mandat de sept ans. Figurait aussi dans ces recommandations une réforme de la CENI, la Commission électorale nationale indépendante, pour y intégrer les membres de l'opposition. Les chefs d'État de la CEDEAO ont également recommandé un recensement électoral général, ainsi que le vote des Togolais de la diaspora, et des mesures d'apaisement, avec la remise en liberté des personnes arrêtées lors des manifestations politiques.

La mise en oeuvre de ces recommandations a connu beaucoup de difficultés. Je citerai deux exemples : la question de la recomposition de la CENI et le recensement général.

  • en ce qui concerne la CENI, contrairement à ce qui avait été demandé par les chefs d'État d'Afrique de l'Ouest, les députés de l'Assemblée nationale, dominée par le parti du chef de l'État togolais, n'ont pas voulu voter pour que des représentants de l'opposition y soient présents. À la place, l'Assemblée a voté pour qu'y siègent des représentants de l'Union des Forces du Changement (UFC), un parti qui est membre du gouvernement mais qui continue à se revendiquer de l'opposition. Il a fallu l'intervention du président du Ghana, le président Nana Akufo-Addo, facilitateur de la crise togolaise, pour obtenir un vote de l'Assemblée favorable à cette réforme. Mais les représentants de l'opposition finalement désignés pour siéger à la CENI n'y sont jamais allés : leurs partis ont estimé qu'ils ne devaient pas prêter serment devant la Cour constitutionnelle, dont ils contestaient la composition. Il fallait donc, selon eux, procéder d'abord à la réforme de cette Cour.
  • en ce qui concerne le recensement, il a été organisé de façon unilatérale, sans participation des partis de l'opposition, puisqu'ils ne siégeaient pas à la CENI ; or c'est la CENI qui est le maître d'œuvre de ce recensement. Il y a donc de fortes suspicions sur la fiabilité de la liste électorale telle qu'elle a été établie.

C'est dans ces conditions qu'ont été organisées les élections législatives du 20 décembre. De nombreuses organisations de la société civile, mais aussi des représentants de diverses confessions religieuses - catholiques, protestants, musulmans - ont estimé que les conditions n'étaient pas réunies pour aller voter. Il fallait à leurs yeux d'abord procéder aux réformes, afin de s'assurer qu'il n'y aurait pas de contestation après les élections. Pour ces organisations et ces confessions religieuses, aller aux élections dans ces conditions ne pouvait apaiser la crise togolaise ; pire, cela risquait de déboucher sur de nouvelles violences, dans la mesure où l'opposition voulait empêcher la tenue du scrutin. Ce sont ces préoccupations qui ont amené les confessions religieuses à solliciter une audience auprès du président ghanéen, facilitateur de la crise togolaise. Une délégation s'est rendue à Accra : elle comprenait des représentants de la conférence des évêques du Togo ; des représentants de l'EMT et de l'EEPT, assistés par le PAOET ; un représentant de l'association des cadres musulmans ; un représentant de la Conférence des Églises de toute l'Afrique (CETA). Elle a été reçue le 15 décembre. L'objectif de cette rencontre était de sensibiliser le chef de l'État ghanéen sur les risques d'explosion liés à la tenue des législatives le 20 décembre et de demander le report de ces élections pour privilégier les réformes et le dialogue entre les partis politiques en présence. Malgré la bonne écoute dont il a témoigné, le président Nana Akufo-Addo n'a pu infléchir la décision du gouvernement togolais. Les élections ont donc bien eu lieu le 20 décembre ; boycottées par l'opposition, elles ont été marquées par une participation très faible (autour de 15% selon l'opposition, de 59% selon la CENI) ; et elles ont provoqué une recomposition de l'Assemblée nationale.

Le gouvernement a procédé récemment à la mise en liberté définitive ou provisoire d'un certain nombre de personnes détenues suite à des manifestations politiques. Des dissensions sont apparues dans le camp de l'opposition ; la mobilisation populaire face aux mots d'ordre de l'opposition semble avoir baissé. Mais on aurait tort de croire que la crise togolaise est finie. Car les causes qui l'ont créée sont toujours là : absence de réformes ; sentiment de l'existence de fortes inégalités et injustices sociales ; sentiment d'avoir affaire à un pouvoir qui refuse l'alternance. Les contestations peuvent donc reprendre. On peut aussi assister à une restructuration de l'opposition... Les mois qui viennent, marqués par l'organisation d'une élection présidentielle, risquent d'être déterminants. Rien n'est résolu, en dépit de cette accalmie.
 

Quelle est la vision des Églises pour sortir de la crise togolaise ?

Comlan Prosper Deh : Pour les Églises, il faut continuer à œuvrer pour que la crise togolaise qui perdure trouve une fin pérenne. Il faudrait :

  • mettre en œuvre les réformes recommandées par la CEDEAO ;
  • mettre en œuvre l'ensemble des recommandations de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) ;
  • continuer les mesures d'apaisement et poursuivre la libération des personnes encore détenues en relation avec la crise politique ;
  • procéder à la restructuration de la CENI de façon non seulement à faire de la place pour la coalition de l'opposition, mais aussi à envisager pour l'avenir une CENI technique, à l'abri de l'influence des partis politiques ;
  • reprendre le recensement électoral, de façon à ce que les citoyens qui n'avaient pas pu, ou pas voulu s'inscrire, puissent le faire ;
  • faire auditer le nouveau fichier qui sera ainsi obtenu par des experts, notamment ceux de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) ;
  • envisager des mesures pour assurer à ceux qui sont au pouvoir qu'un changement à la tête du pays ne débouchera pas sur une chasse aux sorcières. Dans ce sens, on peut envisager des mesures d'immunité ;
  • sensibiliser les hommes politiques sur le fait que les réformes institutionnelles ne devraient pas être perçues comme la victoire d'une partie des Togolais sur une autre, mais plutôt comme l'avancement de l'ensemble du pays vers un avenir plus démocratique.

Propos recueillis par Franck Lefebvre-Billiez

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