«Quels ponts allons-nous construire ?» — Communauté d'Églises en mission

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Cevaa - Communauté d'églises en mission

«Quels ponts allons-nous construire ?»

Les délégués de la dixième Assemblée Générale de la Cevaa ont été mis à contribution, le vendredi 19 octobre, pour imaginer des solutions concrètes face aux problématiques d'intolérance. Pour animer les réflexions, un invité spécialiste en «leadership and career development» : David White, pasteur de l'Île Maurice, mais également formateur et coach.

Introduction à la séance d'animation sur le thème de l'AG de Douala par David White, 19 octobre 2018 © Cevaa

 

À première vue, l'exercice s'apparente plus à un casse-tête qu'à une réflexion sur la vie des Églises. Sur un paperboard, seize points sont disposés en quatre lignes. David White, debout devant les participants réunis dans la salle où se tient l'AG de la Cevaa, donne ses instructions : «Le but est de tous les relier en traçant six lignes, sans lever la main du tableau». Des membres de l'assemblée se lèvent, font des essais sur le paperboard, cèdent leur place à d'autres qui cherchent d'autres solutions, au milieu des rires et des encouragements de l'assistance. «Ne cherchez pas à l'intérieur du cadre», ajoute David White ; «allez voir en-dehors».

«Un monde où tout est devenu mouvant et ambigu»

La «carte de l'empathie» proposée par David White © Cevaa

David White est spécialiste en «leadership and career development», formateur et coach ; il est surtout pasteur de l'Église presbytérienne de l'Île Maurice, et il a été invité à intervenir au cours de la dixième Assemblée Générale de la Cevaa, qui se déroule du 15 au 24 octobre à Douala (Cameroun), pour animer un temps de réflexion sur la problématique de l'intolérance religieuse. Avec des outils généralement peu utilisés dans le cadre des Églises : notamment le design thinking - une approche développée par l'Université de Stanford dans les années 80 pour permettre une synthèse entre la pensée analytique et la pensée intuitive. L'idée est de «sortir les réflexions du cadre», d'explorer ce qui ne l'a pas été encore face à des problématiques qui semblent insolubles. «Nous sommes aujourd'hui dans un monde où il n'y a plus de certitudes, un monde où tout est devenu mouvant et ambigu», commente-t-il. «Un monde d'innovations disruptives... Et nous Églises, restons souvent enfermées dans nos carrés, cherchant à appliquer de vieilles solutions à de nouveaux problèmes. Nous avons du mal à entrer dans cette logique disruptive. Elle nous inquiète. Alors aujourd'hui, je voudrais vous faire réfléchir différemment : comme des architectes ou des designers.»

Il s'agit de sortir des grandes déclarations de principe pour trouver des modalités d'action concrètes. Pour en convaincre l'assistance, David White projette à l'écran de la salle de conférence l'article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme : «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites.» Un texte qui date de 1948 : «Il a été signé par la plupart des dirigeants de nos pays, souligne David White. Il a vu le jour au lendemain d'une grave fracture mondiale ; il donnait l'espoir de plus de tolérance. Aujourd'hui, son idéal n'est pas réalisé, il ne le sera peut-être jamais ; et nos terres sont devenues des terres d'intolérance.»

Entrer dans la peau de l'autre

Pour aller plus loin :

Loin des déclarations de principe, la méthodologie du «design thinking» part de groupes et d'humains concrets qu'il s'agit de comprendre de l'intérieur. David White en décrit à l'assistance les quatre étapes, reprenant l'image de l'architecte ou du designer qui va :
- écouter, entrer dans la peau du client : étape de l'empathie
- définir (aider le client à trouver exactement ce qu'il recherche)
- générer des idées
- prototyper (proposer un premier jet).

Comme point de départ aux réflexions, David White propose une «carte de l'empathie», adaptation d'une méthode de design thinking qui a pour but de mieux comprendre les utilisateurs et leurs besoins. Au centre du tableau, une tête stylisée, représentant les personnes que l'on cherche à comprendre «de l'intérieur». Autour, le graphique est divisé en secteurs, chacun comportant une question pour définir qui sont ces personnes, ce qu'elles font, voient, disent, entendent, pensent et ressentent. Après quoi, l'assistance est répartie en groupes de travail, par zone géographique ou linguistique (Europe, Afrique centrale, Afrique du Nord et de l'Ouest, Pacifique - Océan Indien, ainsi qu'un groupe anglophone), chacun étant chargé d'identifier un groupe humain associé à une problématique d'intolérance religieuse dans sa région. Chaque équipe fait cercle autour d'un paperboard et d'une collection de post-it. Les discussions s'engagent sur le problème à identifier. Les anglophones s'attachent au cas de Boko Haram ; l'Afrique centrale, au repli identitaire ; l'Afrique du Nord et la région Europe, à l'islam ; le groupe Pacifique - Océan Indien part sur une problématique plus générale liée au respect de la différence.

Il s'agit ensuite d'envisager ce qui motive les comportements des groupes humains étudiés. «Le but de cet exercice, souligne David White, c'est de nous faire entrer dans la peau de l'autre, de comprendre son monde, de se connecter émotionnellement avec cette personne. Ça ne veut pas dire qu'on va valider son attitude.» Rapidement apparaissent des convergences. On parle de peur de la stigmatisation, de la perte d'identité ; on parle de besoin de sécurité...

«Ma fille me dit : ne sois pas "jugiste"»

Travaux de groupes lors de la séance d'animation sur le thème de l'AG © Cevaa

«Nous voyons que ces grands problèmes, qui peuvent paraître insolubles, sont fondamentalement le fruit d'émotions humaines, commente David White. Nous avons vu quatre facettes de l'insécurité dans quatre contextes différents. Maintenant, je vais vous demander de penser en-dehors de la boîte pour répondre à cette question : quelles pistes envisager ?» Les groupes reprennent leurs réflexions, des post-it s'affichent sur les murs et les paperboards, et bientôt émergent des pistes : essayer de pénétrer la culture des autres, les faire participer à notre culture, permettre des rencontres interreligieuses, créer des espaces sécurisés d'échanges...

«Nous sommes dans un monde où se construisent plein de ponts, commente David White ; comment nous, chrétiens, allons-nous embrasser ce nouveau monde qui se tisse autour de nous ? Quels ponts allons-nous construire ? La Cevaa est justement là pour mettre les communautés en marche, inciter les gens à trouver des solutions ensemble. Maintenant, nous allons donc «prototyper» : je demande à chaque groupe de me proposer deux idées réalisables.» Les propositions se font alors très concrètes : elles tournent autour de rencontres sportives, de repas partagés, voire d'une ligne de vêtements...

Quelles impressions parmi les participants après cette introduction aux logiques «disruptives» ? «J'ai le sentiment que face à l'intolérance, on peut faire des choses, que nous ne sommes pas dans une voie sans issue», commente un délégué de l'AG. Une autre prend la parole : «Ma fille me dit parfois : ne sois pas «jugiste». Trop souvent, notre première approche, c'est de juger l'autre avant d'essayer de le comprendre.»

Franck Lefebvre-Billiez

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