La Cevaa et son «utopie porteuse» — Communauté d'Églises en mission

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La Cevaa et son «utopie porteuse»

La table ronde organisée le jeudi 18 octobre, au quatrième jour de l'AG de Douala, sur le thème «Le chrétien et l'intolérance religieuse», a permis d'évoquer les manifestations d'intolérance vécues au sein des Églises de la Cevaa. Des manifestations diverses, et des défis différents en fonction des contextes ; la Cevaa elle-même, en tant que Communauté, étant plutôt vue comme «un lieu qui aide à dépasser les préjugés et l'intolérance.»

Les intervenants de la table ronde sur le thème de l'AG de Douala : Simon Kossi Dossou, Claire Sixt-Gateuille, Samuel Désiré Johnson, Martine Grâce Lawson, Paul Padome - 18 octobre 2018 © Cevaa

 

La tolérance, est-ce un manque de convictions ? Comment intégrer dans nos communautés l'arrivée de membres d'autres Églises ? Les questions se succèdent dans la salle de conférence, reflétant souvent des préoccupations très concrètes. Nous sommes à Douala, au matin du 18 octobre, quatrième jour de la dixième Assemblée Générale de la Cevaa, pendant la table ronde organisée sur le thème de l'AG : «Le chrétien et l'intolérance religieuse».

Face à la salle, sur une estrade, les intervenants sont au nombre de quatre : deux femmes, deux hommes, tous pasteurs et exerçant des fonctions de responsabilité au sein d'Églises d'Europe, d'Afrique, du Pacifique, ou représentant une communauté d'Églises. Il y a là Claire Sixt-Gateuille, chargée des relations internationales de l'Église protestante unie de France (EPUdF) ; Martine Grâce Lawson-Late, présidente de l'Église méthodiste du Togo (EMT) ; Paul Padome, secrétaire général de l'Église protestante de Kanaky-Nouvelle-Calédonie (EPKNC) ; Simon Kossi Dossou, envoyé spécial de la Conférence des Églises de toute l'Afrique (Ceta) pour l'Afrique de l'Ouest et Centrale. C'est le pasteur Samuel Désiré Johnson, secrétaire exécutif chargé du pôle Animations de la Cevaa, qui a la responsabilité de mener les débats. 

L'intolérance, marque d'insécurité

Pour aller plus loin :

Pour pouvoir parler de tolérance, il faut d'abord savoir qui l'on est. Évoquant les spécificités de son Église, Martine Lawson fait référence à «la grande famille méthodiste» à laquelle elle appartient. Paul Padome souligne que l'EPKNC «a toujours accompagné la population du pays face aux enjeux politiques», et glisse un mot sur l'échéance du 4 novembre, date du prochain référendum d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie. Claire Sixt-Gateuille parle du «contexte français», et d'histoire : «Dans notre Église, il y a une tradition orale très forte, un souvenir des persécutions religieuses sous Louis XIV. Cette histoire a fortement marqué notre Église, au point que des gens qui ne vont jamais au culte se reconnaissent comme protestants car ils se revendiquent comme descendants d'une minorité persécutée. Ce qui entraîne parfois des poussées d'urticaire vis-à-vis des catholiques, comme si être protestant, c'était avant tout ne pas être catholique...» Une diversité de contextes qui fait que l'intolérance, lorsqu'elle se manifeste, est vécue de manière différente. «Nous n'avons pas vraiment d'intolérance envers les autres religions ; mais à l'intérieur même de notre Église, nous avons des difficultés sur certains sujets comme celui du ministère des femmes, celui des pasteurs célibataires», indique Paul Padome. Claire Sixt-Gateuille évoque plutôt des expériences personnelles de l'intolérance, en soulignant : «j'ai compris, quand cela arrivait, que ce n'était pas une remise en question pour moi, mais une marque d'insécurité de mon interlocuteur.» Et d'ajouter : «Qu'est-ce qui différencie un désaccord d'une marque d'intolérance ? C'est quand on refuse à l'autre toute légitimité à s'exprimer. Souvent, on devient intolérant quand on a besoin de défendre ce en quoi on voudrait croire sans y parvenir tout à fait. Chaque fois que je me suis trouvée confrontée à une manifestation d'intolérance, ce qui m'a aidée, c'est ce passage biblique : «Tout est permis, mais tout n'édifie pas» (1 Corinthiens 10 : 23).»

Durant le temps des questions lors de la table ronde © Cevaa

Face à ces contextes différents, Simon Kossi Dossou apporte le regard d'une communauté d'Églises, la Ceta, où peuvent se vivre des défis comparables à ceux de la Cevaa. Née en 1963, huit ans avant la Cevaa, elle compte aujourd'hui 185 Églises de différentes dénominations dans 42 pays africains. «Nous avons l'ambition de rassembler toutes ces familles chrétiennes autour d'un idéal, celui de confesser Jésus-Christ comme Seigneur et Sauveur, souligne Simon Dossou. Bien sûr, dans une grande famille comme celle-là, il y a beaucoup de différences. Entre les diverses dénominations et confessions, il y a de la peine à s'accepter dans le cadre de certaines célébrations, ou de certains rituels. Assister à l'office assis, ou debout, ou à genoux ; outre des questions théologiques sur le baptême, l'eucharistie... Mais on essaye de s'accepter. Maintenant, nous avons aussi les Églises indépendantes qui arrivent avec leur mélange de pratiques chrétiennes et d'autres plus hétéroclites. Au point que certains en viennent à s'interroger face à de telles célébrations : sommes-nous ici dans une Église chrétienne ou dans une célébration traditionnelle africaine ? Ce sont là des formes d'intolérance contre lesquelles nous luttons, mais de manière discrète, pour ne pas mettre en péril notre communauté.» Au-delà, se pose la question de ce qui est acceptable ou pas dans un cadre chrétien ; et de citer le cas de l'Église kimbanguiste, que la Ceta a décidé de mettre à l'écart, du fait d'une «théologie qui reconnaît en un homme vivant sur terre le Dieu Saint-Esprit». Mais si cette théologie devait évoluer, «la porte n'est pas fermée...»

Des débats internes aux Églises peuvent avoir des répercussions sur les relations avec d'autres communautés, parfois inattendues. Claire Sixt-Gateuille évoque «la discussion au sein de notre Église sur la possibilité de bénir les mariages de couples de même sexe. Elle a entraîné des discussions difficiles, entre les plus libéraux et les plus évangéliques. Finalement, après ce vote, seulement deux paroisses sur 450 de notre Église l'ont quittée ; mais il y a eu des effets collatéraux chez les baptistes, qui se sont divisés sur la question de savoir s'ils devaient ou non rester en relation avec l'EPUdF». Ce vote a aussi eu un fort retentissement au sein des Églises d'Afrique membres de la Cevaa.

«Témoigner de ce creuset qu'est la Cevaa»

Questions lors de la table ronde © Cevaa

Pour autant, ni les intervenants, ni les participants de la table ronde ne ressentent d'intolérance au sein de la Cevaa en tant que Communauté. «Nous considérons la Cevaa comme une grande famille. S'il y a des différences, c'est une richesse pour nous», souligne Paul Padome. «Je n'ai jamais senti d'arrogance entre des pays, des Églises, des cultures, et j'en suis très heureux», intervient un membre de l'assistance. «Si j'ai senti des tentations d'intolérance et de préjugés, c'était d'abord en moi-même, souligne une autre. La Cevaa est un lieu qui aide à dépasser les préjugés et l'intolérance.»

«Ce qui me plaît dans notre communauté d'Églises, ajoute Claire Sixt-Gateuille, c'est son utopie porteuse : que les Églises soient à égalité. Même si l'égalité réelle est une chose qui reste hors d'atteinte, c'est un horizon qui nous attire, une idée qui nous met en mouvement.» Le mot de la fin revenant à Martine Lawson, qui choisit de se référer «au leitmotiv de la Cevaa : partager, agir, témoigner. Nous avons partagé ; après cela, il nous faudra aussi agir, et témoigner dans nos Églises de ce creuset qu'est la Cevaa.»

Franck Lefebvre-Billiez

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