Centrafrique : militaires et femmes de paix, l’improbable rencontre — Communauté d'Églises en mission

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Centrafrique : militaires et femmes de paix, l’improbable rencontre

La visite en Centrafrique d’une délégation de protestants de France et d’Afrique, venus apporter leur soutien à la population centrafricaine et témoigner de leur solidarité, a permis un face-à-face inédit entre les militaires français de la force Sangaris, et un groupe de femmes de Bangui engagées pour la paix. Un signe d’espoir.

Ce dossier est constitué en partenariat avec la revue "Signes des Temps".

 

 

Rencontre entre les responsables de la force Sangaris et le Réseau des femmes croyantes, en présence de la délégation Défap-Cevaa-Ceta. © Claire Bernole pour Cevaa

La rencontre résume, à elle seule, tout le tragique de la situation que connaît la République centrafricaine. Mais tout l'espoir, aussi. Nous sommes dans les premiers jours du mois d’avril à Bangui, au camp de la force Sangaris. D’un côté, des aumôniers militaires et des soldats, et notamment l’adjoint du général Soriano, responsable du contingent français chargé, en lien avec la Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine), de rétablir un semblant d’ordre et de sécurité dans le pays. De l’autre, un groupe de femmes, des habitantes de la capitale, s’efforçant de désamorcer les tensions dans leur ville. Chrétiennes ou musulmanes, mais toutes persuadées de la nécessité de dépasser les oppositions et de parler de réconciliation, elles sont réunies au sein du Réseau des femmes croyantes et médiatrices de paix. Créé en 1996, le Réseau rassemble à Bangui entre 100 et 150 membres ; il a mis sur pied un groupe de prière d’intercession en faveur du pays, mais se manifeste aussi par des actions symboliques. En témoigne une marche pour la paix organisée en 2013, le jour de la fête des mères.

Les membre du Réseau des femmes croyantes, posant lors de la visite de la délégation Ceta-Cevaa-Défap. © Claire Bernole pour Cevaa

Cette rencontre entre deux univers qui n’auraient pas dû se croiser a été permise par la présence d’une délégation de protestants de France et d’Afrique, venus en ce début du mois d’avril apporter leur soutien et témoigner de leur solidarité. Non seulement aux Eglises de Centrafrique, mais à toute la population centrafricaine, chrétienne et musulmane, et à toutes les bonnes volontés porteuses d’une parole d’apaisement. Persuadés que les violences en Centrafrique ne sont pas d’origine religieuse, mais provoquées par l’irresponsabilité de politiques qui ont attisé les tensions à leur seul profit, ces représentants de la Cevaa (Communauté d’Eglises en mission), de la Ceta (Conférence des Eglises de toute l’Afrique) et du Défap (Service protestant de mission) ont multiplié les rendez-vous avec les responsables religieux, tant chrétiens que musulmans, les autorités civiles et militaires... Jusqu’à provoquer ce face-à-face improbable entre les femmes de Bangui et les militaires de Sangaris. Et dans une tente du camp militaire, assis en cercle, adossés à la toile, dans la fraîcheur artificielle de la climatisation, sous le regard d’une journaliste accompagnant la délégation, ces deux univers se parlent et se découvrent.

Des défis quotidiens

Pour les militaires, la tâche est immense. Elle a donné des résultats encourageants à Bangui même, où les violences ne sont en rien comparables aujourd’hui à ce qu’elles étaient il y a seulement un mois. Il reste encore à neutraliser des meneurs, identifiés par les services de renseignement, mais non encore localisés : ces fauteurs de troubles ou chefs de groupes seraient tout au plus quelques dizaines. Dans le reste du pays en revanche, la situation est beaucoup plus instable et des nouvelles alarmantes parviennent du nord, non loin de la frontière tchadienne, des villes de Bambari, Bria, Bossangoa, Dékoa, Kabo, où des groupes d’ex-Séléka font régner la terreur. Pendant que dans le sud, des villages reculés font face aux incursions d’anti-balaka qui assassinent par dizaines des habitants musulmans à l’arme blanche... Tout entiers pris par la logistique, ayant à cœur de protéger les plus vulnérables et de séparer les belligérants, tentant de sécuriser des axes vitaux comme celui reliant le Cameroun à Bangui, mais insuffisants pour faire régner l’ordre sur un territoire 1,5 fois plus grand que la France, les 2000 militaires français attendent un soutien européen qui tarde et peinent à établir la confiance avec la population.

Suzanne Onambélé (présidente du Mouvement des femmes à l’EPCR et membre du Réseau des femmes croyantes), Mariam Konaté (présidente du Réseau, musulmane), Marie Juliette Gbessé (conseillère du Réseau). © Claire Bernole pour Cevaa

Pour les membres du Réseau des femmes croyantes et médiatrices de paix, chaque jour qui passe est un défi. Pour les musulmanes en particulier, abandonnées par leurs fils ayant fui les violences, qui n’osent plus sortir de chez elles et ont le plus grand mal à circuler dans Bangui. Il faut pourtant se nourrir et prévoir l’avenir, alors que le chaos qui s’est répandu dans tout le pays a compromis les cultures et fait peser sur l’ensemble de la population la menace d’une prochaine crise alimentaire. Le Réseau dispose d’un champ de 2 hectares, acheté pour créer une activité génératrice de revenus. Encore faut-il pouvoir aller le cultiver... Et continuer à plaider pour la paix : Mariam Konaté, la présidente musulmane du Réseau, prévoit notamment de rendre visite aux déplacés qui ont fui les exactions, de rencontrer musulmans et anti-balaka...

Un même refus de réduire les violences à un conflit interreligieux

Cette rencontre entre les militaires français et les femmes croyantes de Bangui n’était qu’un premier pas pour établir la confiance. Mais elle ne restera certainement pas un rendez-vous sans suite. Les uns et les autres ont trouvé un terrain commun dans un même refus de réduire les violences à un conflit interreligieux. Les trois aumôniers de la force Sangaris présents lors de l’entretien (le catholique, le musulman et le protestant) ont été frappés par la persévérance de ces femmes de toutes confessions. Les militaires se sont dits prêts à aider les membres du Réseau face à leurs difficultés quotidiennes et espèrent trouver en elles un possible relais pour faire passer des messages au sein de la population. Un deuxième rendez-vous a été fixé, pour parler, de nouveau, de paix et de confiance. Comme le dit un proverbe africain : « Nul ne peut regarder lui-même le haut de son crâne. »

 

Franck Lefebvre-Billiez, Cevaa, avec Claire Bernole, « Signes des Temps »

 

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