Témoignage d’Olivier Delachaux, envoyé confiné en Nouvelle-Calédonie. — Communauté d'Églises en mission

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Témoignage d’Olivier Delachaux, envoyé confiné en Nouvelle-Calédonie.

Parti en 2018 pour la Nouvelle-Calédonie, Olivier Delachaux, pasteur de l'Eglise Protestante Unie de France (EPUdF) est un des envoyés de la Cevaa .
Il enseigne l'Ancien Testament au centre de formation pastorale et théologique de Béthanie. Il témoigne pour nous, d’une manière originale et symbolique, de son expérience du confinement du bout de monde.


Mars 2019. Campus de Béthanie, Xépénéhé, Lifou, Nouvelle Calédonie. Treize étudiants, cinq enseignants et leur famille, et… Yo!

Yo c’est une chienne arrivée toute petite et seule sur le campus, il y a un an. A peine franchi le portail elle a filé tout droit dans la maison de Robert, arguant son droit à l’assistance et à la protection des animaux. La première réaction du placide Robert a été de la mettre dehors. Une fois. Deux fois… Puis finalement Robert s’est résigné. Parfois je me demande si le monde animal ne serait pas doté d’un 6e sens. Parce que s’il y avait une personne sur le campus avec laquelle Yo pouvait être sûre de faire mouche, c’était bien Robert. C’est vrai qu’elle faisait pitié la petite Yo. En plus de sa maigreur, tout son corps était abîmé par une maladie de peau, ce qui la rendait bien peu ragoutante au regard. Très patiemment, Robert s’est appliqué à lui faire prendre des bains de mer -ce dont elle avait bien sûr horreur- et à la nourrir à chaque repas de tout ce qui volait en bas de sa table. A ce régime, Yo reprit -comme on dit- du poil de la bête. Devenue grande, Yo partit toute pimpante explorer le vaste monde. Rapidement Yo se fixa chez une jeune et jolie étudiante appelé Nana de son prénom kanak (sic). Le ratio croquette/caresse était-il supérieur à la normale ? Chez Nana, Yo vivait bien. Jusqu’au mois de décembre et la fin de l’année scolaire. Le campus se vida et Yo fût déplacée sous la contrainte chez Bernard, un étudiant de la tribu voisine, à 10km de là. Une fois l’exil intégré, Yo tira le meilleur parti de sa nouvelle situation et se trouva un mâle à son goût. Puis elle mit bas à toute une marmaille turbulente et gourmande.

Février 2020. Béthanie. Une nouvelle année scolaire commence. Et qui voit-on apparaître ? Yo! Qui crève la faim. Peut-être parce que sa smalah la prenait pour une vache laitière. Yo qui a retrouvé toute seule son chemin pour reprendre ses quartiers chez Nana.

Avril 2020. Catastrophe. Par un bel après-midi tropical, le campus se vide à nouveau. Les étudiants disparaissent. Les bateaux de croisières sont priés d’accoster ailleurs. Les rotations aériennes et maritimes cessent. La poste ferme. Les magasins non alimentaires ferment. Les Nakamal où les hommes boivent le kava ferment. Les séances de bingo où les femmes se retrouvent cessent. Même le dimanche les temples restent désespérément déserts. Et comme la vente d’alcool est interdite « les bruits de fêtes » ne troublent plus les augustes siestes post agape de Yo. Un grand silence s’est installé sur l’île. C’est le confinement.

C’est le moment que choisit Petit Chaton pour entrer en scène. Petit Chaton est aussi famélique que Yo lors de sa première apparition. Il a une croute sur le nez, peut-être parce qu’il a appris par l’expérience ce que signifiait « mettre son nez là où il ne faut pas ». Pendant que petit chaton miaule, Yo attend devant la maison de Nana son hypothétique retour puis tente un plan B en se postant devant la porte de Bernard, dont l’épouse fait habituellement table ouverte, rendant les dessous de table particulièrement attractifs. Mais rien n’y fait. Il n’y a pas âme qui vive. Juste le silence … le silence et les miaulements de petit chaton. Personne ? Vraiment personne ? Ah ! Il y a bien un vieux barbu dans la maison en face de celle de Bernard. Le barbu ? C’est votre serviteur qui jamais jusqu’alors, ne s’était livré à un quelconque commerce avec des animaux de compagnie. Votre serviteur qui, peut-être par charité, finit par se rendre à l’épicerie du bas pour se fendre d’un sac de Frieskies goût poulet.

 

 

 

Donc tout va bien, Yo et Petit Chaton s’en mettent plein la panse. Chaque matin Yo saute en l’air comme un cabri oubliant qu’il n’est qu’un toutou et Petit Chaton ne se sentant plus de joie miaule et minaude tout en gardant une distance de sécurité d’au moins 3 mètres. Oui Yo et Petit Chaton vivent le confinement des humains joyeux et le ventre plein. Mais si l’histoire devait s’arrêter là je ne vous l’aurais pas racontée. Sous les impulsions de petit chaton qui se sentait certainement très seul, Yo a retrouvé des velléités de mère. Ainsi Petit Chaton s’est mis à grimper sur Yo, à jouer au toboggan sur son dos, à dormir lové contre son abdomen, juste à côté de tétines encore bien formées - on se sait jamais devait-il rêver en ronronnant. A l’inverse j’ai surpris Yo aux heures de jeu à courir après Petit Chaton comme s’il s’agissait d’un cache-cache/attrape.

 

Dans le sillage allégorique de Yo et de Petit Chaton, peut-être cette lumière sera-t-elle celle de la redécouverte d’une nouvelle forme d’entraide et de coopération.

 

Là où Yo et Petit Chaton m’ont émerveillé, c’est dans leur capacité à faire association dans l’adversité. Oui Yo et Petit Chaton sont entrés dans une animale coopération pour échanger de la tendresse et dépasser leur isolement. Oubliant toute notion de compétition, voire d’opposition, ils sont entrés dans une entre-aide non humaine, montrant ainsi que la coopération est un principe du vivant. Un peu comme les manchots qui se rassemblent dans les nuits hivernales d’arctique pour se protéger d’un blizzard pouvant atteindre les -70°C ou comme certains arbres qui redistribuent des nutriments aux plus faibles grâce à des champignons racinaires … Est-il encore besoin de beaucoup parler ? La crise économique dont l’actuel craquement financier n’est qu’un prélude va progressivement et profondément bouleverser nos façons de vivre. La présente crise sanitaire n’en est peut-être que le catalyseur.

Chez les juifs à l’époque biblique, comme d’ailleurs aujourd’hui chez les Moines du Mont Athos, le jour commence … à la tombée de la nuit, ouvrant ainsi sur l’attente et l’espérance de la lumière. Dans le sillage allégorique de Yo et de Petit Chaton, peut-être cette lumière sera-t-elle celle de la redécouverte d’une nouvelle forme d’entraide et de coopération, ferments pour réinventer la société après pétrole qui, nous disent les krachs successifs que nous traversons, a déjà commencé?

 

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