Rencontre avec un boursier de la Cevaa : Emmanuel Dzah — Communauté d'Églises en mission

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Rencontre avec un boursier de la Cevaa : Emmanuel Dzah

Pris entre deux pays, deux religions, plusieurs cultures et plusieurs vocations, Emmanuel Dzah a fini par trouver ce qui donne un sens à tous les revirements de sa vie : la théologie, qui répond à ses aspirations les plus anciennes. Et la vie de pasteur, qu'il associe fortement au désir d'enseigner, pour lutter contre les ravages de l'ignorance, et à l'action sociale pour faire reculer la misère.
  Fiche d'Église : l'EPMB
Fiche d'Église : l'EPS
Emmanuel Dzah, boursier de la Cevaa © F. Lefebvre

S’il fallait choisir une phrase pour résumer le parcours d’Emmanuel Dzah, ce serait une prière qu’il adressait, jeune, à un Dieu qu’il voulait mieux connaître : « Seigneur, fais ce qui est bien pour moi, même malgré moi ». Et c’est bien malgré lui qu’il a été guidé, d’étape en étape, jusqu’à devenir boursier de la Cevaa. « Ma vie a connu beaucoup de zigzags », reconnaît-il aujourd’hui, à 46 ans. Entre deux pays, deux religions, plusieurs cultures et plusieurs vocations... Etudiant en master de théologie à l’UPAO, l’Université protestante d’Afrique de l’Ouest, au Bénin, il compte revenir à la fin de son cursus au Sénégal, son premier pays. Ce devrait être en juillet 2015, « avec la permission divine ». Il se destine à devenir pasteur au sein de l’Eglise protestante du Sénégal, une vocation qu’il associe fortement au désir d’enseigner, pour lutter contre les ravages de l’ignorance, et à l’action sociale pour faire reculer la misère – deux maux qui sont, pour lui, fortement associés.

Ces « zigzags » qui ont marqué sa vie trouvent leur origine bien avant sa naissance : son père, togolais et issu d’une famille protestante, était arrivé à 17 ans au Sénégal avec l’armée française. C’était dans les années 50. Il est resté sur place, s’est marié, a fondé une famille. Emmanuel Dzah a donc des oncles et tantes au Sénégal, dans un milieu musulman, et au Togo, dans un milieu protestant.

Son premier amour, c’était l’aviation. « Quand j’étais plus jeune, se souvient-il, il me suffisait de voir la silhouette d’un avion pour pouvoir donner le nom de son constructeur, ses caractéristiques techniques... L’aviation influençait ma culture, mes goûts littéraires... » Ses premiers héros avaient pour noms Mermoz, Saint-Exupéry ; il se passionnait pour l’odyssée de l’Aéropostale... Son père lui offre des cours de pilotage à Dakar. Emmanuel Dzah obtient son brevet élémentaire premier degré de pilote. Il veut continuer, en faire son métier : pour devenir pilote de ligne, il compte poursuivre une formation en France ou au Canada. Et pour cela, il a besoin d’une bourse, qu’il pourra obtenir s’il totalise déjà suffisamment d’heures de vol en aéroclub après l’obtention de son brevet de pilote. Il ne les aura jamais : à la suite d’un revers de fortune, son père ne peut plus payer les cours de pilotage. Emmanuel Dzah avait 75 heures de vol, il lui restait 5 heures de maniabilité : premier revirement de la vie et premier zigzag.

une nouvelle vie au Togo

Emmanuel Dzah devant l'un des bâtiments de l'UPAO © F. Lefebvre

Il passe un concours pour devenir enseignant, le réussit, se retrouve bientôt professeur de mathématiques, durant une année, dans un établissement confessionnel : le collège Notre-Dame du Liban à Dakar. C’est à la suite de cette expérience que son père lui propose de partir à la rencontre de l’autre branche de la famille : cette branche togolaise et protestante, qu’il ne connaît guère. Voilà Emmanuel Dzah, dont les questionnements religieux lui avaient valu, enfant, le surnom « d’imam » par ses amis musulmans (même s’il lisait tous les soirs des passages du Nouveau Testament) plongé dans un milieu nouveau. Après une période d’instabilité, il obtient sa nationalité en 1997, enseigne bientôt au collège protestant de Lomé Tokoin (un quartier de Lomé). Mais il ne parvient pas vraiment à se sentir chez lui au Togo et songe à revenir au Sénégal. En 2002, son père lui parle de la possibilité d’obtenir une bourse de la Cevaa et d’étudier la théologie. Son dossier est constitué en 2003 grâce au pasteur Jonas Adou, envoyé par la Cevaa au sein de l’Eglise protestante du Sénégal.

Nouveau zigzag : Emmanuel Dzah commence à percer professionnellement. Il aide à réorganiser une bibliothèque, anime, au sein du collège, des clubs dont le succès déborde le cadre de l’établissement – notamment le « Technoclub », à l’origine d’une véritable petite radio de l’école, avec ses propres moyens de diffusion, ses émissions, ses journalistes en herbe... Il est même envoyé comme surveillant général dans le collège protestant de Lomé Bè, auprès du Directeur chargé de relancer un établissement déclinant. Ce collège a été implanté par l’Eglise évangélique presbytérienne du Togo dans une zone défavorisée et où domine le vaudou (c’est tout près de là que se trouve la forêt sacrée de Bè), et les problèmes y sont récurrents. Emmanuel Dzah affirme y avoir vu des cas de possession démoniaque. Là aussi, son travail porte des fruits. La réputation de l’établissement s’améliore sous la conduite du Directeur M. Gavlo, le nombre d’élèves augmente. Entretemps, Emmanuel Dzah s’est marié, a fondé une famille...

« Cette formation a réveillé tout ce qui pouvait être dormant en moi »

Mais voilà que ce dossier de demande de bourse le rattrape. Il avait déjà renoncé à en bénéficier, relancé alors par le pasteur Jonas Adou, pour se consacrer à sa famille et à son travail. Il exprimera du remord et relancera son dossier. Nous sommes en juin 2009, il traverse une période plus difficile, son travail et son mode de vie ne le satisfont plus... et les chances d’obtenir une bourse de la Cevaa sont sérieuses ; mais renoncer une nouvelle fois, ce serait s’en priver définitivement. Il s’en ouvre à sa femme, les discussions sont longues, d’autant plus qu’elle-même a trouvé une situation stable – mais finalement, le choix est fait... Voilà comment l’ex-aspirant pilote de Dakar, reconverti dans l’enseignement au Togo, va repartir pour le Bénin pour y étudier la théologie à l’Université protestante d’Afrique de l’Ouest : nouveau zigzag...

En se plongeant dans la théologie, il renoue avec cette aspiration à mieux connaître Dieu qui ne l’avait jamais abandonné. « Cette formation a réveillé tout ce qui pouvait être dormant en moi : maintenant, je fais du 100 % Dieu. » Même sa vocation scientifique trouve un nouvel éclairage à cette lumière... Sa longue familiarité avec l’islam explique peut-être son attirance particulière pour l’Ancien Testament. Il s’y est spécialisé. Il trouve dans la langue hébraïque des racines qui lui rappellent l’arabe, répandu au Sénégal, contrairement au grec. Le Dieu de l’Ancien Testament lui paraît plus proche aussi. Il se méfie des risques de dérive d’une grâce à bon marché : « c’est là-dessus que les musulmans nous attaquent, ils disent les chrétiens laxistes... » Et s’il aime « Jésus et ce qu’il a apporté, sa conception », il cherche toujours, même dans ses prédications basées sur le Nouveau Testament, le texte parallèle dans l’Ancien Testament...

Emmanuel Dzah voit dans son cursus à l’UPAO à la fois une transformation et un aboutissement, qui donne un sens à tous les « zigzags » de son existence. « Ce que j’ai appris ici m’a édifié. Je sais au moins deux choses à présent : je veux travailler à l’édification de la communauté. Où que je sois et quel que soit mon ministère, il y aura une place pour que je puisse enseigner, éviter que le peuple de Dieu ne soit détruit par l’ignorance. » Emmanuel Dzah croit aussi fortement en la nécessité pour l’Eglise d’avoir les moyens de son action : à quoi sert-il de prêcher le salut si les fidèles sont dans la misère et que l’Eglise ferme presque les yeux sur leur sort? De réclamer des paroissiens des efforts financiers insurmontables pour eux, si l’Eglise elle-même ne fait pas d’efforts conséquents ? « Mon mémoire, souligne-t-il, portera sur les projets générateurs de revenus. Pas pour que les Eglises fassent du "business", mais pour qu’elles puissent apporter le salut à toutes les dimensions de l’homme, aussi bien à l’âme qu’au corps. J’ai déjà un directeur de mémoire... »

Franck Lefebvre-Billiez

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