Mobilisation contre Boko Haram — Communauté d'Églises en mission

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Mobilisation contre Boko Haram

Mouvement insurrectionnel mêlant islam rigoriste et magie traditionnelle, Boko-Haram mène contre le gouvernement du Nigeria une véritable guerre civile qui n'épargne ni les populations chrétiennes, ni les populations musulmanes. Il est désormais devenu une menace pour tous les pays voisins du lac Tchad, au point qu'une réunion entre treize représentants régionaux s'est tenue récemment au Niger pour trouver les moyens de le combattre. Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, juge important "que les pays de la région puissent s'organiser entre eux pour pouvoir riposter à cette offensive dramatique qui peut déstabiliser l'ensemble de cette région".

BOKO HARAM : DOSSIER COMPLET SUR LE SITE DE L’OBSERVATOIRE PHAROS

>> Attaque de Baga : le dossier d’Amnesty International <<
>> Analyse d’un expert de l’IRIS : pourquoi la question d’une action de la France se pose <<
>> Boko Haram par les cartes : le dossier du Monde... <<
>> ... et de l'Express <<
>> Le chef de Boko Haram défie la sous-région (Libération) <<
>> Témoignages de survivants sur RFI : "Ibrahim Ousmane, réfugié et handicapé"... <<
>> ... et "Boko Haram: quand les enfants témoignent par le dessin" <<

 

Photo satellite datant du 7 janvier 2015 et montrant l’ampleur des destructions dans la ville Nigeriane de Baga © Digital Globe et Amnesty International

Il sera sans doute difficile de connaître un jour le bilan réel du massacre de Baga. Les ONG évoquent plus de 2000 morts. L’armée nigériane, plutôt encline à minimiser de tels bilans, parle de centaines de victimes. Ces évaluations effroyables ne sont pourtant que peu de choses face aux ravages du groupe Boko Haram depuis qu’il s’est lancé dans une véritable guerre à coups d’attentats contre les populations civiles et de prises d’otages : plus de 13.000 morts, 1,5 million de déplacés. Reste qu’il y aura bien eu un avant et un après Baga. Les photos satellites montrant l’ampleur de la dévastation provoquée par Boko Haram, tout comme le défi lancé au monde par le chef du groupe terroriste, Abubakar Shekau, ont marqué les esprits jusqu’en France et pourraient précipiter une intervention internationale. "Il importe que les pays de la région puissent s’organiser entre eux pour pouvoir riposter à cette offensive dramatique qui peut déstabiliser l’ensemble de cette région", a déclaré récemment Jean-Yves Le Drian sur RTL. Le ministre français de la Défense a rappelé que l’armée française aidait dans ce but les États de la région, dont le Cameroun, le Tchad et le Niger, à coordonner leurs actions au sein d’un comité de liaison installé à N’djamena. La capitale tchadienne abrite également l’état-major de l’opération Barkhane de lutte contre les groupes djihadistes dans le Sahel, qui regroupe autour de la France cinq pays (Tchad, Niger, Mali, Burkina Faso, Mauritanie). Une coopération militaire a été décidée fin 2014 entre les pays membres de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT, qui comprend Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad). Mais cette force régionale, composée de 700 militaires issus de chacun des quatre pays, ainsi que du Bénin, peine à se matérialiser, du fait de dissensions entre le gouvernement d’Abuja et ses voisins.

Une ville entière rayée de la carte

Pendant longtemps, la guerre menée par Boko Haram est restée sans images. Donc, sans grand impact sur les opinions occidentales. Tout a changé en quelques jours en ce mois de janvier 2015. Dans un premier temps, les photos satellites publiées par Amnesty International et Human Rights Watch ont apporté un autre regard sur le massacre de Baga. Les clichés montrent deux villes voisines, Baga (située à 160 km de Maiduguri) et Doro Baga (également connue sous le nom de Doro Gowon, à 2,5 km de Baga) ; ils ont été pris les 2 et 7 janvier, avant et après les attaques. Ils montrent une destruction systématique : en quelques jours, plus de 3700 bâtiments ont été endommagés ou détruits - 620 à Baga et 3100 à Doron Baga, qui a été pratiquement rayée de la carte.

Cette dernière localité, qui abrite la base d’une force armée régionale, la Multinational Joint Task Force (MJTF), a été la plus durement touchée. Mais les violences ont aussi délibérément visé les civils : les clichés montrent la destruction de maisons, de centres médicaux, d’écoles. Et comme si ces images n’étaient pas suffisamment éloquentes, dans une vidéo diffusée sur internet et revendiquant l’attaque contre Baga, le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, a menacé les présidents du Tchad, du Cameroun et du Niger, trois pays frontaliers que les incursions de Boko Haram menacent de plus en plus de déstabiliser. Défiant tour à tour le Tchadien «Idriss Déby et les rois d’Afrique», le Camerounais Paul Biya accusé d’avoir «peur» et de «demander de l’aide», et le Nigérien Mahamadou Issoufou, accusé de faire partie «de ceux qui sont allés voir Hollande, le petit-fils de Charlie Hebdo», Abubakar Shekau s’est dit «prêt» à faire face à toute offensive. Depuis le massacre de Baga, Boko Haram a lancé un nouveau raid meurtrier dans l’extrême-nord du Cameroun, enlevant une soixantaine de personnes dans deux villages de la zone de Tourou, dans l’arrondissement de Mokolo.

Une menace régionale

Ces offensives de Boko Haram, tout comme le défi lancé par son chef, marquent la volonté du groupe armé de profiter du contexte pré-électoral nigérian pour lancer une campagne de déstabilisation. La prochaine élection présidentielle doit avoir lieu le 14 février. D’ici là, Boko Haram veut décrédibiliser le pouvoir nigérian et tenter de profiter du chaos. Au Nigeria même, il est en position de force, après une série de succès contre une armée qui a marqué son incapacité à mener une lutte antiterroriste efficace, ce qui a transformé le combat contre Boko-Haram en une véritable guerre civile. Sur le plan régional, Boko-Haram est désormais présent dans le Nord du Cameroun, et ce sont les forces spéciales camerounaises qui ont libéré un otage allemand, Nitsch Eberhard Robert, détenu depuis juillet dernier. Au Tchad, le président Idriss Déby s’inquiète, au vu de la porosité des frontières, d’une possibilité de rapprochement de Boko-Haram avec les groupes issus des Sélékas en République centrafricaine. Il a mobilisé son armée pour aller combattre Boko-Haram dans les pays voisins du Cameroun et du Nigeria, à grand renfort de manifestations populaires de soutien aux militaires mobilisés. Au Niger, le gouvernement s’inquiète des 100 000 réfugiés Nigerians dans la zone frontalière de Diffa : Boko Haram utiliserait déjà ces territoires pour recruter des combattants et se ravitailler, notamment en en armes. C’est d’ailleurs au Niger que s’est tenue le 20 janvier une réunion entre treize représentants de pays africains et non-africains pour tenter d’établir une stratégie commune contre Boko-Haram. Au moment même où se tenait cette réunion, Boko-Haram affrontait l’armée camerounaise autour de la ville de Bondéri...

Le groupe Boko Haram, officiellement appelé Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’Awati Wal-Jihad, « groupe sunnite pour la prédication et le djihad », est né en 2002 dans le Nord du Nigeria. Ce pays, devenu indépendant du Royaume-Uni en 1960, est composé de trois grands ensembles ethniques : les Haoussas et Peuls musulmans au Nord (33%), les Yorubas au Sud-Ouest (31%) et les Ibos christianisés dans l’Est (12%). Dans un pays à la structure fédérale (composé de 36 États), à la forte croissance (sa vitalité économique le place au deuxième rang juste après l’Afrique du Sud), à la remarquable vigueur démographique (d’ici 40 ans, il pourrait compter 400 millions d’habitants, contre 167 millions aujourd’hui), mais aux inégalités grandissantes, notamment entre le Nord pauvre et le Sud pourvu en ressources pétrolières, la diversité religieuse et ethnique se combine aux décalages de développement pour créer un ensemble très instable. Ainsi, en dépit de la croissance Nigeriane, 70% de la population vit encore avec moins de 1,25 dollar par jour, et un Nigerian sur trois est analphabète. Des tensions qui se sont manifestées notamment lors des élections présidentielles de 2011, marquées par la lutte entre l’ancien président musulman du Nord (Babandinga) et son successeur, Goodluck Jonathan, un chrétien du sud.

Un mouvement insurrectionnel venu du Nord sous-developpé du Nigeria

Depuis l’origine, Boko Haram joue sur ces tensions et réclame la mise en place d’un État islamique au Nigeria. Son fondateur, Mohamed Yusuf, était un prédicateur né précisément dans le Nord sous-développé, marqué par cette pauvreté, et qui prônait un islamisme radical et très anti-occidental. Pour Boko-Haram, le gouvernement Nigerian est impie : c’est donc contre ce gouvernement et contre ses forces de sécurité que la lutte s’est tout d’abord engagée. Le groupe a pu profiter de l’inefficacité et de la corruption de l’armée Nigeriane pour se constituer un fief dans le Nord du pays. Mohamed Yusuf a été plusieurs fois poursuivi par la justice, jamais condamné. En 2009 toutefois, Boko-Haram va trop loin en lançant, au mois de juillet, une série d’attaques simultanées dans quatre États du Nord : Bauchi, Borno, Yobe et Kano. A Maiduguri, capitale de l’État de Borno, les combats durent cinq jours. L’armée met plusieurs jours avant d’apporter son aide à la police locale. Mais dès lors, l’offensive de Boko-Haram est repoussée, le mouvement décimé, Mohamed Yusuf capturé et abattu, et les survivants se dispersent, certains partant dans les pays voisins du Niger et du Tchad.

Débute alors une phase de reconstitution et de lutte de succession dont le vainqueur est Aboubakar Shekau, le chef actuel de Boko Haram. Dès lors, les attaques reprennent, sans épargner les populations civiles : attentats, prises d’otages, jusqu’à celle de 200 lycéennes en avril 2014, qui a eu, pour la première fois un fort retentissement sur la scène internationale. L’armée Nigeriane lance aussi des attaques d’ampleur à partir de mai 2013, les premières couronnées de succès ; mais bientôt, Boko Haram reprend l’offensive. C’est désormais une véritable guerre, dans laquelle le groupe armé prend l’avantage et s’empare de villes entières les unes après les autres : Damboa, Bama, Pulka, Ashigashia, Liman Kara, Kirawa... Parallèlement, Boko-Haram s’efforce d’élargir son territoire autour du lac Tchad, pour ne plus rester cantonné sur sa rive Est, et pouvoir profiter de la porosité des frontières et échapper à des offensives comme celle qui avait failli lui être fatale en 2009. Désormais, Boko Haram est une menace très concrète pour tous les États voisins : Cameroun, Tchad, Niger.

Des professionnels de la guérilla

Cette hantise du contrôle territorial, tout comme les circuits économiques mis en place pour garantir l’approvisionnement du groupe, ont assuré sa survie, mais ne sont pas sans effet sur son idéologie. S’il prône un islam radical et a affirmé sa proximité, successivement avec les talibans afghans, Al Qaïda puis l’État islamique, Boko Haram s’attaque en fait à tout ce qui lui fait obstacle indépendamment de toute connotation religieuse - quitte à tuer des musulmans. Ses méthodes d’endoctrinement mêlent référence à la charia et à la magie, ce qui n’est guère orthodoxe sur le plan de l’islam. C’est, enfin, un mouvement d’insurrection qui reste régional, sans référence à une internationalisation du Jihad. Les combattants de Boko-Haram sont désormais des professionnels de la guérilla tout à fait aptes à tirer profit des ressources locales (ressources naturelles pour alimenter les trafics, banques des villes conquises) et du contexte géopolitique (déstabilisation de la Libye, qui a rendu disponibles de nombreuses armes pour des circuits clandestins). On estime aujourd’hui que le mouvement compterait entre 3000 et 4000 combattants, et à peu près dix fois plus de membres.

Franck Lefebvre-Billiez

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