Suisse : penser l'après-«No Billag» — Communauté d'Églises en mission

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Suisse : penser l'après-«No Billag»

Si le rejet de l'initiative «No Billag», qui prévoyait la suppression de la redevance, a été salué avec soulagement par l'audiovisuel public suisse après une campagne qui a vu les Églises, le monde de la culture et les politiques s'unir pour défendre la diversité au sein des médias, les difficultés de financement demeurent. Les émissions religieuses en sont paradoxalement épargnées, ayant déjà été confrontées à une crise qui a amené RTSreligion, le service des émissions religieuses à la Radio télévision suisse, à trouver un équilibre viable. Garantissant ainsi la présence des Églises dans l'espace médiatique. Entretien avec Michel Kocher, journaliste, théologien et directeur de Médias-pro, l'un des trois partenaires de RTSreligion.
Média-pro : le plateau multimédia aux Cèdres, inauguré en février 2018 © Médias-pro

Dans le paysage médiatique de Suisse, l'initiative «No Billag» est apparue à une période où le financement du service public de radio et de télévision était déjà en question. Avec un impact direct sur la représentation des Églises dans l'espace public, déjà fragilisée ces dernières années : si cette initiative avait été un succès, elles auraient été purement et simplement privées d'accès aux médias. Que peut-on dire aujourd'hui des suites de la votation du 4 mars ?

Michel Kocher : En premier lieu, je voudrais signaler une chose importante : l'impact de cette votation dépassait de loin la Suisse. Elle a été observée avec une grande attention par les services publics de radio et de télévision de tous les pays d'Europe, pour qui un succès de l'initiative «No Billag» aurait été un très mauvais signal. Pour revenir sur l'enjeu de la votation, cette initiative, portée par le parti UDC (Union Démocratique du Centre, un parti très à droite) visait à supprimer la redevance et plus largement à couper le service public de tout financement supporté par l'État. L'audiovisuel public aurait pu continuer à émettre, mais aurait dû trouver des sources de financement propres via la publicité. Au fil d'une campagne qui a duré plusieurs mois, l'opinion publique est passée par plusieurs phases : on a pu penser en premier lieu que l'initiative «No Billag» avait des chances de l'emporter, ce qui a provoqué une sorte de coup de fouet au sein de la société civile, et l'émergence d'une forme d'union sacrée regroupant les Églises, les milieux de la culture, du sport, de la politique, pour défendre l'audiovisuel public. Un service public qui est aujourd'hui le seul garant d'une information de qualité - une information qui ne soit pas soumise aux pressions financières, aux lobbies, et qui assure une vraie représentation de la diversité culturelle, linguistique et religieuse dans un pays justement très divers. Au final, l'initiative «No Billag» a été rejetée par plus de 70% des votants : un véritable plébiscite pour le service public ; et, ce qui est notable, ce rejet a été fort aussi bien en Suisse romande que chez les Suisses alémaniques. On peut donc parler d'une reconnaissance claire et nette de la nécessité de préserver le service public, ce qui est un magnifique final politique.

Le financement du service public de radio et TV est-il donc assuré à long terme ?

Pour aller plus loin :

En fait, ce rejet de l'initiative «No Billag» ne résout pas tous les problèmes, car la redevance va baisser. Elle va passer de 451 francs suisses par an, à 365 francs - un chiffre symbolique : 1 franc par jour. Il s'agissait d'une annonce politique faite avant la votation, un peu dans l'optique de couper l'herbe sous le pied des partisans de «No Billag». Concrètement, ça représente 100 millions de francs d'économies à faire pour l'audiovisuel public -  7 à 8 % du budget. Et ces économies, il va falloir les faire rapidement. D'autant plus que les autorités politiques envisagent déjà de réduire encore la redevance, pour passer sous le seuil de 1 franc par jour. C'est là tout le paradoxe : le service public de radio et de télévision a été plébiscité lors de la votation, mais il va avoir moins de moyens. Il devra faire des choix douloureux.

Quel impact peut-on attendre sur la parole des Églises dans les médias ?

Paradoxalement, un impact limité : nous avons déjà connu il y a deux ans, suite à une décision d'un de nos directeurs régionaux, une grosse crise qui nous a obligés à renoncer à la diffusion des offices télévisés mensuels. Aujourd'hui, chaque dimanche, une heure de diffusion en direct est consacrée à une messe, un culte, depuis des lieux différents, mais pas à la télévision : ce pourra être des diffusions à la radio, mais aussi en streaming, sur le web. Nous pouvons ainsi travailler avec des moyens plus légers, et cela nous permet de faire progressivement la bascule numérique. Et en-dehors de cette question des retransmissions télévisées, nous avons perdu très peu de notre présence éditoriale : nous diffusons toujours les mêmes émissions magazines consacrées à la couverture du religieux. Nos ressources proviennent en partie de fonds publics, qui paient les forces journalistiques, et des Églises, qui paient les forces de production. C'est le modèle que nous défendons actuellement pour la Suisse romande. Car en Suisse alémanique, où un tel modèle n'existe pas, les Églises n'ont quasiment plus aucune place dans l'audiovisuel public...

En résumé, les émissions religieuses au sein de l'audiovisuel public ont connu une crise, il a fallu économiser ; par ailleurs, cette crise nous a valu un soutien populaire inespéré, un vrai plébiscite pour nos émissions, pour la qualité de notre travail et pour sa légitimité... De sorte qu'aujourd'hui, nous nous retrouvons avec un dispositif qui est globalement viable, pour autant que les Églises de Suisse romande continuent à se percevoir comme des acteurs de service public. Sur ce plan, la différence est grande entre le protestantisme français, qui prône une «Église de témoins», et le protestantisme suisse. C'est justement au nom du rôle que jouent les Églises dans la société que l'on évite de faire du témoignage, de l'évangélisation : on assume dès lors une présence religieuse plurielle et peu identitaire.

Peut-on dire que cette crise, et la réflexion qu'elle a engagée sur la parole des Églises dans l'espace public, ont eu un impact sur leur fréquentation ?

D'une certaine manière, oui : on peut dire qu'elle a freiné une forme de délégitimation en cours aujourd'hui, ou de désaffection, ou de déconstruction du lien du christianisme avec la culture. C'est un signal positif à usage interne pour les Églises, qui leur laisse à penser qu'elles restent des acteurs en lien avec la société. Il peut conforter les forces qui restent au sein des Églises et qui ont un souci de leur présence dans la société. Ce n'est toutefois pas suffisant pour inverser la courbe d'érosion des fidèles. Voilà pourquoi, au niveau des Églises de Suisse, nous devons déployer une stratégie parallèle de présence dans l'espace public qui ne se réduise pas à une contribution à RTSReligion. Par exemple, on vient d'achever la construction d'un plateau TV pour DM-échange et mission [le service missionnaire des Églises de Suisse romande]. Il reste à trouver comment utiliser cet outil au mieux.
 

Médias-pro et la présence protestante dans les médias suisses

Depuis plus de 80 ans, les Églises réformées de Suisse romande, dont font partie les Églises suisses membres de la Cevaa, sont présentes dans les médias laïques. Dès la création de la RSR (Radio Suisse Romande), puis de la TSR (Télévision Suisse Romande), elles se sont intéressées à ces nouveaux moyens de communication pour y faire rayonner l'Évangile. Au début de leur collaboration avec ce qui deviendra «SSR-SRG», les collaborateurs étaient tous des pasteurs ou des diacres. Dès les années 70, l’évolution de la société a fait apparaître le besoin d'information religieuse. Celle-ci n'étant pas à confondre avec la promotion des institutions ecclésiastiques ou la prédication, la dimension journalistique s'est développée. Après quelques années, des représentants catholiques romains ont rejoint le service public. Rapidement, les magazines confessionnels ont fait place à des rendez-vous œcuméniques. Aujourd'hui, les émissions sont pensées et co-produites avec Cath-Info, l'ancien Centre Catholique de Radio et Télévision (CCRT). Dans les années 90, une prise en compte des dimensions interreligieuses a été proposée aux directions de la RSR et de la TSR. Acceptée puis plébiscitée, elle est aujourd'hui partie intégrante des mandats d'émission qui sont confiés à Médias-pro.
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