Centrafrique : «  Les vieilles recettes de sortie de crise ne marcheront pas » — Communauté d'Églises en mission

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Centrafrique : «  Les vieilles recettes de sortie de crise ne marcheront pas »

En RCA, le passage de relais entre la Misca, la force africaine, et la Minusca, la force de stabilisation des Nations Unies, a eu lieu officiellement le 2 septembre. Le début du déploiement de cette nouvelle mission internationale est prévu le 15. Elle doit notamment protéger les populations et soutenir la transition politique. Une transition qui semble aujourd'hui bien difficile à mettre en œuvre.
Bangui, avril 2014 : des jeunes de l’Eglise protestante Christ-roi présentent une scénette où la lumière de la persévérance garde allumées celles de la paix, de la joie, de l’amour et du pardon. © Claire Bernole pour Défap

La République centrafricaine, championne des missions de l’Onu, en a déjà connu plus d’une dizaine : il y a eu la Misab, la Minurca, le Bonuca, la Fomuc, la Micopax... Voici désormais la Minusca, ou Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations Unies en République centrafricaine. L’accord sur le transfert de la force africaine Misca (Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique sous conduite Africaine) vers la Minusca a été signé ce mardi 2 septembre entre le Représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies pour la RCA, le général Babacar Gaye, et le ministre centrafricain des Affaires étrangères Toussaint Kongo Doudou.

Prévue pour comporter, à terme, 10.000 soldats et 1800 policiers, la Minusca a été officiellement créée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies votée à l’unanimité le 10 avril 2014, et sa mission débute le 15 septembre. Près de 7600 Casques bleus devraient prendre part à l’opération dans un premier temps ; la plupart opèrent déjà sur place dans le cadre de la Misca, déployée depuis décembre 2013 et qui compte 6000 soldats. La France est présente pour sa part à travers l’opération Sangaris qui regroupe 2000 hommes, et l’UE a envoyé 150 hommes dans le cadre de l’opération de l’Union européenne pour la stabilisation en RCA (Eufor). Le déploiement de la Minusca devrait se poursuivre jusqu’au 30 avril 2015. Les soldats de l’ONU seront envoyés sur tout le territoire centrafricain avec trois états-majors: un dans l’Ouest, à Bouar du pays ; un autre dans le Centre-Ouest, à Kaga-Bandoro ; un troisième dans le Centre-Est, à Bria.

« Personne n’est dupe »

Des enfants du camp de réfugiés autour de l’Église évangélique des frères. 32 000 personnes déplacées y sont actuellement accueillies. © Claire Bernole pour Cevaa

La Minusca a reçu pour mission de protéger les populations, soutenir la transition politique, désarmer les ex-combattants, aider à la distribution de l’aide humanitaire et à la protection des droits de l’homme. Ce qui cantonne l’essentiel de son action à la sphère sécuritaire – là où les missions précédentes ont, précisément, montré leurs limites. Les armes circulent toujours, la criminalité se développe sans police et sans justice, rendant illusoire la protection des droits, le pays est dépendant d’une aide insuffisante, le gouvernement ne parvient à assurer aucune de ses missions régaliennes... et quant à la transition politique, beaucoup doutent qu’elle puisse se mettre en place dans les délais prévus. Elle doit théoriquement s’achever par des élections prévues en février 2015 ; c’est du moins la date qui a été arrêtée en novembre 2013 par le groupe international de contact. Dans cette optique a été mise sur pied une Autorité nationale des élections (ANE), qui a toutes les peines du monde à fonctionner, et dont le président Dieudonné Kombo-Yaya a reconnu lui-même lundi dernier sur RFI : « Personne n’est dupe. Aujourd’hui, les conditions actuelles font que le délai de février 2015 est peu envisageable. (...) Il faut penser automne 2015 plus qu’entre juillet et septembre où c’est la plus forte saison des pluies. C’est la version optimiste. ».

En début d’année, le diplomate français Didier Niewiadowski, longtemps en poste à Bangui, jugeait que la Centrafrique aujourd’hui n’est même plus un Etat fantôme : c’est désormais « un Etat fictif ». Interviewé en mars dans Libération, il mettait en garde : « Les vieilles recettes de sortie de crise ne marcheront pas. C’est privilégier la facilité, mais encourir aussi un cuisant échec que d’imaginer sortir de la crise par des élections avec une organisation étatique similaire (…) et en raisonnant dans un cadre uniquement étatique alors que la crise est aussi régionale. »

« Mauvaise gouvernance et prédation ont détruit ce qui restait de l’Etat »

Pour aller plus loin :
- Centrafrique: une nouvelle opération de l’ONU, pour quoi faire ? (sur le site de Libération)
- Elections en RCA: le délai de février 2015 n’est «pas tenable» (sur le site de RFI)
- La crise centrafricaine : de la prédation à la stabilisation (rapport, International Crisis Group)
- Le mandat de la Minusca (sur le site de l’Onu)

En ce qui concerne la situation sécuritaire, pourtant au cœur du mandat des missions internationales jusqu’alors déployées dans le pays, il se montrait tout aussi critique : « Les milices anti-balaka, souvent dénommées à tort "milices chrétiennes" par opposition à l’ex-Séléka musulmane, ne sont toujours pas cantonnées à ce jour et encore moins désarmées, et cela en dépit des résolutions de l’Onu et de l’Union africaine. Cette situation les autorise à perpétrer leurs exactions en toute impunité. Les désœuvrés – paysans spoliés, coupeurs de route au chômage, enfants des rues non scolarisés – ont été rejoints par d’anciens militaires des Forces armées centrafricaines et par des boutefeux partisans de l’ancien président Bozizé (…) Ce ramassis, tout aussi inorganisé que l’ex-Séléka mais éparpillé en des groupuscules de quelques individus, se trouve livré à lui-même, obligé pour survivre de s’emparer des biens d’autrui et le plus souvent avec une violence extrême. »

Une analyse qui rejoint celle de l’International Crisis Group : son dernier rapport, La crise centrafricaine : de la prédation à la stabilisation, affirme la nécessité d’une approche qui articule l’opération de maintien de la paix avec la relance de l’activité économique, le soutien à la reconstruction de l’Etat et la lutte contre les trafics. « La mauvaise gouvernance et la prédation ont détruit ce qui restait de l’Etat, de l’économie et ont appauvri la population », affirme Thibaud Lesueur, analyste pour l’Afrique centrale. « L’actuel mandat de la mission de maintien de la paix n’est pas à la hauteur du défi centrafricain ».

Franck Lefebvre-Billiez

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