Centrafrique : apprendre aux jeunes la paix, non la haine — Communauté d'Églises en mission

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Centrafrique : apprendre aux jeunes la paix, non la haine

Comment voir l'avenir quand on est jeune à Bangui ? Dans une ville où la méfiance entre communautés a érigé des barrières, où les armes circulent – sans justice et sans police ? Au sein des Eglises, de la société civile, des responsables Jeunesse plaident contre la violence et les discours qui divisent. Rencontre avec deux d'entre eux, membres de l'Eglise protestante Christ-Roi de Centrafrique, en formation à Porto-Novo.
  Fiche d'Église : l'EPCRC
Deux responsables Jeunesse de l'EPCRC en formation au Bénin © F. Lefebvre

Teddy Dila-Ngambsso a 30 ans, Edwige Ngatimo en a 23 ; ils sont venus ensemble assister au séminaire des responsables Jeunesse de la Cevaa à Porto-Novo, au Bénin. Tous deux membres de l'Eglise protestante Christ-Roi de Centrafrique (EPCR), ils vivent à Bangui et sont engagés auprès des jeunes. Malgré l'insécurité qui pousse la plupart des parents à garder leurs enfants chez eux, malgré les pénuries et les difficultés de circulation, ils continuent à plaider pour la raison et le dialogue, contre l'instrumentalisation politique, contre la violence. Chacun à son niveau (Teddy est responsable Jeunesse de l'EPCR, Edwige animatrice), ils portent le même regard sur la situation des jeunes de leur pays. « Ils sont trop souvent manipulés », déplore Edwige. La violence est d'abord dans les têtes, implantée par des discours de haine. « Nous nous sommes rendus compte qu'ils connaissent mal la parole de Dieu. Qu'ils ont besoin d'être formés, que quelqu'un leur dise comment agir en tant que chrétiens, leur parle de l'amour du prochain. Alors, nous organisons des débats pour qu'ils réfléchissent sur les raisons profondes de la crise. Ils prennent conscience du jeu des politiques, des problèmes de mauvaise gouvernance, de chômage... » De ces débats sortent des résolutions qui sont autant de plaidoyers pour le vivre ensemble et pour une sortie de crise. Leur groupe compte une cinquantaine de jeunes, mais d'autres se mobilisent comme eux au sein de la société civile, au sein des associations, lancent des messages de paix à la radio...

« Le problème, ce n'est pas la religion », affirme Teddy. Lui-même, quoique chrétien, porte une tunique longue, un « bazin », vêtement usuel chez les musulmans. « Je l'ai depuis longtemps, souligne-t-il, mais comme je ne peux plus vraiment m'en servir à Bangui, aujourd'hui, je le porte en pensant plus particulièrement aux musulmans. J'ai des amis parmi eux. Je travaille dans une société de téléphonie : certains m'appellent quand ils ont des problèmes techniques. Il y a aussi cette amie avec laquelle j'avais créé une association des anciens de ma faculté : elle aussi est musulmane, mais nous sommes toujours en contact... » Un soutien qui ne doit toutefois pas trop s'afficher en Centrafrique même : « Si tu avais porté ça dans les rues de Bangui il y a un mois ou deux, glisse Edwige, on t'aurait attaqué directement et brûlé. »

Examens annulés, écoles occupées

Edwige Ngatimo © F. Lefebvre

La méfiance entre communautés a dressé dans Bangui des frontières devenues difficilement franchissables. Pas question pour tous ceux qui habitaient, avant les troubles, dans le voisinage du Km 5, le quartier musulman, de tenter de rentrer chez eux. « Leurs maisons ont souvent été détruites, raconte Teddy ; ou alors, ce sont des musulmans qui se sont installés chez eux. Parfois, certains essaient de revenir malgré tout pour chercher des affaires, et ne reviennent pas : on ne retrouve que leurs corps. » Mais pour tous ceux qui, musulmans, vivent dans ce quartier, c'est plus difficile encore : « Ils ne peuvent pas se déplacer dans Bangui, ils sont comme enfermés, ils souffrent de la faim », souligne Edwige. Un statu quo explosif qui explique pourquoi les camps de déplacés sont toujours présents dans Bangui. Avec le temps, ceux qui y vivent se sont organisés de manière précaire, vivant d'expédients et de petits boulots ; certains ne manifestent même plus le désir de revenir chez eux.

Une situation de pourrissement à l'image de la société centrafricaine, marquée par les pénuries, une explosion des prix des denrées alimentaires, une insécurité permanente, une désorganisation générale. Edwige cite un exemple qui concerne directement les jeunes : « A l'université, les vacataires ne sont plus payés et sont en grève. Les examens de fin d'année n'ont pas pu être organisés. Du coup, nous sommes toujours, officiellement, en année universitaire 2012-2013. Pour protester, les étudiants, à leur tour, sont allés occuper des salles de classe pour empêcher les élèves de primaire de passer leur certificat d'études. » Mais c'est à Bangui, et c'est un moindre mal ; ailleurs, les écoles peuvent être carrément occupées par des déplacés, ou par des groupes armés.

Des ONG vues avec méfiance

Teddy Dila-Ngambsso © F. Lefebvre

Pour Edwige et Teddy, pas question de résumer la violence à des affrontements entre sélékas et anti-balakas. Le principal problème, pour eux, ce sont toutes ces armes qui circulent depuis le début des violences, et tous ces jeunes désœuvrés, sans moyen de subsistance, qui se font braqueurs. «Il faudrait quelqu'un pour s'occuper d'eux, leur parler, leur éviter d'être manipulés », plaide Edwige. « Mais pour eux, c'est un moyen facile de gagner leur pain. » Les institutions sont inexistantes : plus de police, plus de justice. Un criminel ne sera guère inquiété, tant qu'il est armé. Alors, des milices se sont mises en place par quartier. D'autres jeunes, en situation tout aussi précaire, organisent des rondes la nuit ; ils font le tour du voisinage et demandent aux habitants de se cotiser pour leur payer des sifflets, des piles pour leurs torches électriques...

Récemment, la gendarmerie a repris le contrôle des rues de Bangui en installant des « checkpoints » dans de nombreux endroits de la ville. « Ils ont mis des barrages tous les 200, 300 m, décrit Teddy. Ils arrêtent les voitures et les fouillent à la recherche d'armes. Mais ils sont installés le long des grandes rues, pas dans les quartiers. » Or c'est bien dans les zones les moins accessibles, les plus tortueuses, que le risque est le plus grand. Mieux vaut ne pas sortir après 19 heures. Les délestages sont trop fréquents, les quartiers plongés dans le noir, l'insécurité au plus haut. Mais cette démonstration de force de la gendarmerie est tout de même mieux perçue que l'action de la Misca, la Mission internationale de soutien sous contrôle africain, accusée de tous les maux : corruption, marché noir, et inaction lorsqu'il s'agit de venir en aide à la population. « Certains ont féminisé leur nom et l'appellent la Prisca : ils se promènent dans Bangui et ne font rien », glisse Teddy. Certains contingents sont tout de même mieux vus que d'autres : les Burundais, par exemple. Mais globalement, la Misca n'est guère populaire.

Même méfiance vis-à-vis des ONG. Certaines sont vues comme efficaces. Mais la crise centrafricaine a attiré à Bangui un personnel humanitaire nombreux, visible... sans amélioration perceptible. « La plupart fuient les zones où ça chauffe vraiment, accuse Teddy. On en voit qui louent les villas les plus chères, qui circulent en ville dans de grosses voitures, et tout ça pour quoi ? Pour distribuer un sac de farine et quelques litres d'huile par famille ? » Même dans le cas d'ONG reconnues, les difficultés d'organisation et les frictions paralysent une aide qui serait pourtant bienvenue. « A l'hôpital des Castors, près de chez moi, il y a eu un conflit entre la direction hospitalière et une ONG, souligne Teddy. Pendant des mois, personne ne pouvait s'y faire soigner, et en cas d'accident grave, il fallait transporter comme on pouvait les victimes jusqu'à l'hôpital communautaire – sur des brancards, en courant, ou en pousse-pousse. »

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