Centrafrique : « La confusion s’établit entre le sociologique et le religieux » — Communauté d'Églises en mission

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Centrafrique : « La confusion s’établit entre le sociologique et le religieux »

Troisième témoignage de retour de Centrafrique : celui du pasteur Jean-Arnold de Clermont, président du Défap et vice-président de l'Observatoire Pharos. Il s'interroge sur l'importance réelle des tensions interreligieuses dans les violences que traverse le pays. Importance le plus souvent surévaluée lorsqu'on parle de la crise centrafricaine sous l'angle d'un conflit entre chrétiens et musulmans : ce n'est pas une guerre de religions. Et pourtant, des tensions préalables existaient, plutôt d'ordre social et ethnique, mais où la composante religieuse a petit à petit été mise en avant au fur et à mesure que les oppositions s'exacerbaient.
Le site de l’EPCRC

>> Le site de Pharos <<

>> Retrouvez l’article de La Croix : "A Bangui, face à la violence extrême" <<
>> Message de Centrafrique : « Nous sommes dans la fournaise » <<
>> Visite de solidarité à Bangui : le dossier de la Cevaa <<

Rencontre à Bangui entre intellectuels centrafricains et la délégation envoyée par Pharos © Pharos

A l’arrière-plan des violences en Centrafrique, il y a sans aucun doute des tensions interreligieuses. Si les principaux leaders chrétiens et musulmans affirment la tradition de cohabitation pacifique entre les uns et les autres, il n’empêche que de fortes tensions se sont manifestées depuis longtemps. En 2008, dans une enquête du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), à la question : « Vous sentez vous exclus ? », 29 % des chrétiens centrafricains disaient oui pour des raisons économiques, 51% des musulmans pour des raisons religieuses. Les musulmans sont négociants, éleveurs, diamantaires. Et ainsi que nous l’indiquait l’un de nos interlocuteurs, au marché ils représentent 70% des commerçants, tandis que 40% des acheteurs potentiels sont pauvres. D’où une jalousie évidente : « Eux sont riches, nous pas. » Ils ont donc été régulièrement rackettés par les forces de l’ordre, victimes de « délits de faciès ». Certains immigrés du Tchad appartiennent à des groupes ethniques de sanglante réputation. Ainsi de fil en aiguille, la confusion s’établit entre le sociologique et le religieux  : le Tchadien, le riche commerçant, devient le musulman qui sera opposé au Centrafricain chrétien et pauvre. Dans les faits, un conflit à caractère politique, économique, ou ethnique devient un conflit interreligieux. Au moins dans son interprétation et dans son instrumentalisation par les politiques. Les conséquences en sont dramatiques.

Le drame éducatif se surajoute. Dans un état en faillite récurrente, ce qu’on appelle ici « les années blanches » dans le système éducatif se répètent ; ce sont des années où l’école n’a tout simplement pas lieu. Un représentant des étudiants de l’université nous disait : « Pouvez-vous imaginer que nous sommes en train de terminer l’année universitaire 2012-2013, alors que nous devrions entrer dans l’année 2014-2015 ? »

Les enfants témoins au jour le jour des exactions

Le pasteur Jean-Arnold de Clermont © Pharos

De même dans le primaire et le secondaire. À Sica III (quartier de Bangui), l’Église baptiste a mis en place une école primaire alternative, mais en l’ouvrant aux mères des jeunes enfants qui, elles, ont été victimes de ces années blanches ; avec leurs jeunes enfants, elles apprennent à lire et à écrire. Résultat : 52 % d’analphabétisme.

Plus grave encore, peut-être, est la perte des valeurs. Plusieurs nous ont indiqué la disparition de l’instruction civique ; mais c’est dans le quotidien de la vie sociale bousculée par des crises à répétition que cela se manifeste, et les enfants en sont les premières victimes. Les enfants témoins au jour le jour des exactions, des scènes de violence, des actes de barbarie. Témoins, et participants bon gré mal gré aux scènes de liesse autour d’un cadavre ennemi dépecé, eux qui dans la tradition culturelle centrafricaine étaient tenus à l’écart de la mort. Enfants des années 1970 qui répéteront de manière mimétique dans les années 1990 les violences dont ils ont été témoins vingt ans plus tôt. Enfants des années 1990 que l’on retrouve dans une violence sans frein aujourd’hui.

Comment ne pas poser la question des enfants d’aujourd’hui qui ont vécu et sont témoins de pire encore ? Comment briser ce cycle de la violence qui, en se nourrissant des violences passées, semble devenir sans limite ? Il n’y a certainement pas de réponse simple, ou plutôt aucune réponse ne pourra faire face à ce défi si elle ne prend la mesure de sa complexité, aussi bien économique que politique, culturel que social, ethnique que géopolitique.

Retrouvez ce témoignage sur les sites de Pharos et de La Croix

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